Extrait d’une lithographie d’Antoine Roussin "Le séga dans des noirs, le dimanche,, au bord de la mer, à Saint Denis, 1860"
Maloya
Histoire, origine et influences
Le maloya sacré, une tradition importée par les esclaves
Le maloya est arrivé dans l’île avec les premiers esclaves d’origine malgache et africaine. Le maloya traditionnel et rituel est l’expression d’un rite sacré et confidentiel : le servis kabaré, importé de Madagascar et aussi appelé kabar ou servis malgas. C’est initialement une cérémonie animiste liée au culte des ancêtres, permettant aux vivants de parler à leurs morts pour leur rendre hommage et leur demander la protection. Pratique transmise oralement, elle connaît des formes différentes qui varient d’une famille à l’autre, permettant aux descendants d’esclaves et d’engagés de garder un lien avec leurs traditions. Le maloya, à travers la musique et la danse occupe une place centrale dans cette cérémonie liée au culte des ancêtres et dissimulée de la sphère publique. Par extension, le mot kabar peut désigner aujourd’hui un concert.
Le processus de créolisation
Jusqu’au début du XXe siècle, le mot « tchéga » qui viendrait d’un mot « swahili » signifiant « relever, retrousser ses habits », est utilisé pour désigner le maloya que nous connaissons. L’origine du mot maloya restant floue, on pense qu’il viendrait de Madagascar ou du Mozambique.
Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les engagés indiens ou malgaches introduisent dans les cérémonies des mélodies, épopées et rituels qui leurs sont propres. On assiste à véritable processus d’expression interculturelle de l’océan indien à travers la pratique du maloya à cette époque. Du côté européen, certains textes chantés du maloya traditionnel font des emprunts aux romances françaises du XVIIIe et XIXe siècles.
La dimension politique du maloya
Le maloya interdit
Pratiqué dans le cercle familial et le voisinage, le maloya, assimilé à l’esclavage et à l’engagisme est interdit dans l’espace public jusqu’en 1981. Dans les années 1960, le maloya devient un espace d’expression, symbole d’une lutte des classes pour le parti d’opposition réunionnais PCR (Parti Communiste Réunionnais). Culture refoulée par une grande partie de la population réunionnaise car jugée subversive et porteuse d’idées révolutionnaires, le maloya est joué dans les soirées festives (bals maloya) où l’on entend des chants de critique et de commentaire social, vecteurs de revendications.
De l’identité locale au patrimoine mondial
A l’origine, musique cultuelle et rituelle, le maloya est aujourd’hui l’expression majeure de l’identité réunionnaise, dans le paysage social et culturel. De nombreux artistes participent à sa préservation et à son expansion en se produisant sur des scènes internationales. Sur le plan local, le maloya présent à travers les associations et les manifestations culturelles diverses, bénéficie d’une place dans l’enseignement spécialisé depuis 1987 au CRR. Il est depuis 2009, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Les instruments du maloya
L’héritage africain et malgache
Le maloya tel qu’on le connait aujourd’hui utilise des instruments comme le bobr, le kayamb, le rouler et le piker, introduits par des esclaves africains. D’autres instruments originaires de Madagascar et du Mozambique comme la valiha et le timba, rapportés par des esclaves, ont disparu de la musique réunionnaise. Utilisé par les pêcheurs, l’ancive, coquillage servant de trompe a également disparu.
Le rouler est un membranophone, c’est l’instrument de base du maloya puisqu’il en donne la pulsation. Conçu par les esclaves au XVIIIe siècle par l’utilisation de tonneaux transportés par les navires. Le joueur est assis à cheval sur l’instrument pour pouvoir modifier le timbre en se servant d’un de ses pieds. Autrefois, il fallait le chauffer avant de jouer pour obtenir une bonne sonorité.
Le piker est un idiophone frappé ou « piké » avec deux baguettes. Il est fabriqué en bambou. On peut le poser par terre. Pour en jouer debout, le fixe sur un tube métallique. On tape dessus avec deux baguettes de bois dur de goyavier.
Le bobr (ou bob) est un cordophone, présent en Afrique de l’Est et à Madagascar. Cette arc musical a une fonction essentiellement rythmique dans le maloya et est utilisé fréquemment par les conteurs et marionnettistes mais aussi en accompagnement du moringue. Le musicien tient l'arc au-dessus de la calebasse et appuie la calebasse contre lui. Il frappe en cadence la corde de l'arc à l'aide d'une petite baguette appelée batavék.
En jouant du bobr, on obtient plusieurs effets simultanés : le cliquetis des graines dans le kavir comme une maracas, les vibrations de la corde que le musicien amplifie à son gré en fermant plus ou moins l'ouverture de la calebasse qu'il appuie contre lui
Le kayamb est un idiophone originaire d’Afrique. On le retrouve à Madagascar où kayemba signifie qui sonne et au Mozambique sous le nom de kaembé. A la Réunion il est fabriqué en tiges de fleurs de cannes à sucre fixées sur un cadre de bois rectangulaire. Avant de fixer les dernières tiges, on introduit des graines. Graines et fleurs de Conflore
Le Sati
Idiophone fait en bidon en fer blanc, feuille de tôle roulée ou pliée en forme de caisse, il est frappé à l’aide des baguettes.
Le triangle
Idiophone constitué d'une barre métallique de section circulaire pliée en deux points de manière à former un triangle. Tenu d'une main par le musicien, qui frappe dessus à l'aide d'une tige, également métallique. Sonorité cristalline et aiguë
Dans les années 1970 avec l’avènement de la fusion, des instruments électriques et acoustiques (guitare, basse, batterie, clavier), des cuivres (trompette, saxophone), ainsi que des instruments traditionnels malgache (vali), indiens (tambour malbar), africains (djembé, takamba) et autres instruments européens (harpe, piano, violon) ou sud-américains (congas) viennent parfois cohabiter avec les instruments
Particularités musicales et styles
La tradition
Dans sa forme traditionnelle, le chant du maloya est exécuté en alternance entre le soliste et le chœur. Les textes sont généralement en créole ou sous une forme de malgache créolisé. Expression musicale dansée du culte des ancêtres, le maloya est une fusion de styles africains et malgaches avec des apports indiens, véhiculé et transmis par des artistes comme (Lo Rwa Kaf, Gramoun Baba, Gramoun Bébé, Gramoun Lélé, Gramoun Sello, Firmin Viry, Simon Lagarrigue, Françoise Guimbert).
Durant les "Sèrvis Kabaré", le rythme du maloya varie entre une forme binaire proche
du 2/4 et une forme plutôt ternaire proche du 6/8 (beaucoup plus courante en dehors
du contexte d'exécution rituel).
La fusion
Dans les années 1970, le maloya connait une émergence de la « scène fusion », courant initié par les groupes Caméléon, Caroussel et les artistes Loy Ehrlich et Alain Peters qui y ajoutent des musiques du monde et lance les carrières de René Lacaille, Bernard Brancard, Joël Gonthier, Kiki Mariapin. C’est le mélange de musiques actuelles comme le rock, le jazz, le funk, le reggae ou de musiques du monde avec se le style des ancêtres,
l’Évolution
La fusion du maloya a, dans les années 1990, fait des expériences originales comme le groupe Renésens qui crée le « maloya celtique » avec l’utilisation d’instruments traditionnels bretons. Tandis que de nombreux groupes et artistes se réapproprient leurs racines africaines : Davy Sicard, Christine Salem ou fusionne avec les musiques électroniques et urbaines comme Jako Maron, Atepelaz, Alex Sorres, Kaf Malbar.
Néo-traditions
Parmi les tendances actuelles, le style néo-traditionnel est adopté par des groupes de maloya. inscrivent dans le sillon de Granmoun Lélé, comme Lindigo, Kiltir, Kozman Ti Dalon… Ces groupes font cohabiter des répertoires anciens avec des adaptations et des créations actuelles qui laissent place à d’importantes innovations linguistiques et instrumentales.
Artistes emblématiques
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Danyèl Waro
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Françoise Guimbert
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Lo Rwa Kaf
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Firmin Viry
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Simon Lagarrigue
Bibliographie
Précourt, Fanie. « Maloya et séga des Mascareignes, ethnomusicologie d'un genre pluriel », Africultures, vol. 98, no. 2, 2014, pp. 108-115.
Guillaume Samson, Benjamin Lagarde et Jean-Claude Carpanin Marimoutou, L'univers du maloya. Histoire, ethnographie, littérature, DREOI/Océan Éditions, St-Denis de La Réunion, 2008.
Jean-Pierre La Selve, Musiques traditionnelles de La Réunion, Saint-Denis de La Réunion, Azalée Éditions, p. 68. de Littérature comparée
Sandrine Barège. Petites histoires des musiques réunionnaises, édition 4 épices, 2012
Dossier de presse, « Maloya patrimoine mondial de l’humanité », 1er octobre 2009, Maison des Civilisations et de l’Unité réunionnaise.
Université de La Réunion, faculté des lettres et des sciences humaines « Diversité et spécificités des musiques traditionnelles de l’Océan Indien » Editions l’Harmattan 2004 (p. 207 à 256)